L'illusion de la vie
L'illusion de la vie
Je n’ai jamais su si j’avais été un enfant désiré, je ne me suis jamais vraiment senti « vivant » !
Mes parents s’étaient mariés en mai 1912, les temps étaient durs, et ils devaient travailler tous les deux pour vivre décemment. En été 1913 ma mère se retrouva enceinte, pas de congés maternité en ces temps là. En mars 1914 voulant nettoyer sa maison pour accueillir le nouveau né, elle tombe et perd cet enfant, leur premier né, ce qui provoqua pour eux une grande déception, mais la vie continue …
En Aout 1914, la guerre est déclarée, mon père est mobilisé. Ma mère ignore qu’elle est enceinte pour la seconde fois, elle l’annoncera a son mari alors déjà prisonnier. Je n’ai aucune idée de la manière dont cette nouvelle fut accueillie, cette naissance était a mon avis inopportune, en ces temps de restrictions et d’insécurité, une femme seule avec un nouveau né représentait plus une grande douleur qu’un vrai bonheur.
Je naquis en mars 1915, il fait froid, c’est encore l’hiver. Le village ne subit pas l’occupation ennemie, mais les troupes dites « alliées » sont là et il faut les nourrir et les loger, ça coute très cher à la commune.
Ma mère m’allaite, heureusement, car il n’y a plus beaucoup de nourriture, même à la campagne. L’argent manque, il lui faut travailler pour survivre et envoyer quelques colis a « mon père » prisonnier quelque part en Allemagne vivotant misérablement dans un camp, il y fait glacial, la nourriture rare et mauvaise, les travaux forcés et les brimades ont vite raison de tous ces hommes. Mon père est déjà malade, il s’est aigri. Il est loin de son pays, de sa famille, de son village et de son épouse qui vient de lui donner un fils qu’il ne connait pas, et qu’il aura toujours du mal à « connaitre ».
Mais la vie étant ainsi faite, je grandis entouré de femmes, mère, grand-mères, tantes, mais toujours seul et silencieux, on ne parlait guère en ces temps-là. On avait l’impression que le simple fait de parler faisait perdre un temps précieux, ce fameux temps que l’on devait occuper à travailler, rien qu’à travailler.
Ma mère me mettait des robes, vêtements anciens de mes oncles et tantes enfants et précieusement conservés par ma grand-mère dans la grande armoire de sa chambre. C’était sans doute la mode. Je pense plutôt qu’elle devait inconsciemment refuser que je sois un garçon, donc je n’irai pas « à la guerre ».
Bien qu’ayant des cousins et cousines, je ne m’amusais guère, qu’avions-nous pour jeux, une balle, un cerceau, un bâton pour courir après les poules. Ma petite enfance se passa ainsi, aimé sans doute, mais solitaire.
Ma mère était très pieuse, ainsi que les femmes de sa famille. Tout est une question d’éducation, elles avaient été élevées dans la foi catholique, elles en étaient imprégnées, elles obéissaient aveuglement à ses règles en tous points, mais les choses réelles de la vie étaient pour elles des mystères qu’elles estimaient inutiles de connaître. Je fus élevé dans ce même culte. Il a marqué toute ma vie.
A suivre..